
De l’usage médical de la marijuana
Considéré comme une victoire personnel pour le Premier ministre Justin Trudeau, le Canada va devenir le premier pays membre du G20 à légaliser la marijuana pour un usage récréatif.
A partir de septembre, la nouvelle mesure fédérale permettra la production, la vente et consommation de cannabis, révoquant ainsi la loi de 1923. Le produit, dont l’usage médical est déjà autorisé au Canada depuis 2001, sera contrôlé par le gouvernement, de sa production par des entreprises habilitées jusqu’à l’établissement d’une limite pour sa possession.
Wave en a discuté avec le Dr. Ilan Nachim, brésilien et spécialiste de la médecine familiale avec un intérêt particulier pour la médecine liée à la douleur et l’addiction. Il a ouvert l’une des premières clinique de cannabis au Canada et organise régulièrement des conférences sur le cannabis à usage médical. Il travaille aujourd’hui au Centre de l’Addiction et de la Maladie mentale, ainsi que pour des cliniques locales qui aident les personnes dépendantes.
Wave : Quelle est la position de l’Organisation mondiale de la santé sur l’utilisation de la marijuana comme traitement médical ? Quelles maladies ou problèmes de santés peuvent être traité avec ces substances ?
Dr. Nachim : La plante de cannabis contient 200 composants pour lesquels, dans la plupart des cas, nous n’avons que très peu de connaissances. Les deux composants les plus étudiés sont le tétrahydrocannabinol (THC), le principal composant psychoactif de la plante, et le cannabidiol (CBD) qui ne provoque pas l’euphorie mais qui est étudié pour son potentiel médical. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) approuve plusieurs études qui ont démontré les effets thérapeutiques des cannabinoïdes (phyto ou synthétique) sur les nausées et les vomissements et ayant également des effets avancés sur des maladies comme le cancer ou le SIDA. La majeure partie de la recherche autour des cannabinoïdes n’en est qu’à son début mais plusieurs études montrent que, en effet, ceux-ci peuvent avoir des usages thérapeutiques dans un grand nombre de situations médicales allant du traitement de la douleur neuropathique à certains types de crises, aux symptômes de multiples scléroses et à une myriade d’autres conditions.
Wave : Bien qu’utilisé dans la médecine depuis plusieurs siècles, pourquoi y a-t-il encore toujours aujourd’hui des a priori et une certaine résistance quant à prescrire de la marijuana sur ordonnance ?
Dr. Nachim : La plupart des préjugés d’aujourd’hui sur l’usage du cannabis est le résultat d’une campagne débutée aux États-Unis dans les années 1920 et 1930 qui avait pour vocation de diaboliser la nouvelle population immigrante mexicaine. Même si l’huile de cannabis était largement utilisée en médecine, et la plante elle-même très utile pour la fabrication de produits de chanvre à cette période, les américains ont cru que fumer de la marijuana, appelées ainsi par les mexicains, conduisait inévitablement à la violence et à d’autres comportements antisociaux.
Selon moi, dans les prochaines années, le stigmate associé à l’usage du cannabis va s’éroder et ce dernier sera alors considéré de la même manière que l’alcool ou le tabac. Avec la recherche, l’éducation, une forte politique de santé publique et des conditions de vente strictes, je pense que les gens deviendront informés des risques liés à la consommation de cannabis, minimisant même les conséquences de son potentiel usage, surtout les jeunes et les personnes à haut risque.
Wave : Une école de pensée en médecine assure que le produit est responsable de maladies psychiatriques. Quelle est votre opinion sur le sujet ?
Dr. Nachim : Il y a évidemment une corrélation entre la consommation de cannabis et la maladie psychiatrique. Pour certaines personnes, l’usage de cannabis peut augmenter le risque de développer une maladie mentale comme la psychose ou la schizophrénie. C’est l’une des raisons pour lesquelles le cannabis est déconseillé aux jeunes personnes pour lesquelles le cerveau est toujours en train de se développer et qui n’ont pas de tendances psychiatriques encore apparentes. Les personnes avec une histoire familiale ou personnelle ou d’autres troubles de santé mentale doivent aussi se tenir éloignées du cannabis. Pour 9 ou 10% des consommateurs, le cannabis devient une addiction qui s’associe à taux plus élevé de suicide, de dépression et s’accompagne parfois de troubles d’anxiété.
Ceci étant dit, il est devenu évident que les souches de CBD peuvent aider à affaiblir ou éradiquer certains effets psychoactifs du THC comme les troubles d’humeur et les symptômes psychotiques.
Wave : En tant que physicien et citoyen, quelle est votre position à l’égard de la légalisation de la marijuana à usage récréatif dans les conditions telles que celles déterminées par le gouvernement canadien ?
Dr. Nachim : D’abord et surtout, je ne pense pas que le cannabis ou que n’importe quelle autre drogue devrait être criminalisé. Comme nous l’avons vu, la criminalisation conduit à la consommation grandissante de substances toujours plus dangereuses, couplé à l’augmentation générale de la criminalité ainsi qu’aux coûts financiers et sociaux qui s’y rapportent.
La partie difficile est de déterminer la forme de la législation et comment veiller à sa mise en place puis son application. En 2001, le Portugal a mis en place une politique décriminalisant toutes les drogues et ses consommateurs ne sont pas vu pour autant comme des criminels. Cette approche semble avoir produit des résultats positifs dans la société : la consommation de drogue parmi les adolescents a chuté, l’utilisation de certains traitements a augmenté, et désencombrant par là-même la justice d’un lourd fardeau. Je pense que le gouvernement canadien aurait d’abord du décriminaliser l’usage du cannabis avant de le légaliser purement et simplement. Cette première étape aurait ainsi permit d’initier le processus de légalisation de manière plus douce et prudente. Le risque d’une légalisation totale étant que les mesures soient trop libérales, et conduisent à une augmentation des préjudices dans la société.
Cependant, avant l’implémentation de la législation, le gouvernement devrait commencer à faire de la prévention publique au travers de programmes éducatifs mettant en avant les risques liés à l’usage du cannabis. Il est crucial d’établir des standards pour la vente de cannabis et les produits en contenant afin d’empêcher les entités commerciales d’influencer sa consommation.
Wave : Une recommandation pour ceux qui consomment la marijuana de manière récréative ?
Dr. Nachim : L’un des plus importants problèmes apparus dans les États du Colorado et de Washington après la légalisation du cannabis est une augmentation importante des passages aux urgences dues aux complication liées à l’absorption de produits contenant du cannabis. Les consommateurs n’ont pas réalisé que les effets liés au cannabis pouvaient mettre jusqu’à deux heures pour se manifester. En plus, il est très difficile de savoir la quantité exacte de cannabis contenue dans un produit une fois que celui-ci a été mélangé avec plusieurs ingrédients puis divisé en morceaux comme c’est le cas pour les ‘hash brownies’. Du coup, certaines personnes en ont ingéré en très grandes quantité, les rendant de fait extrêmement malades.
Cet exemple démontre bien à quel point il y a besoin d’éduquer sur le sujet. Le gouvernement ne doit pas seulement atteindre les consommateurs avec des directives protégeant leur consommation en la rendant plus sûre, mais les usagers doivent aussi s’éduquer eux-même comme ils le feraient avec n’importe quel médicament ou produit autorisé.
Le Centre de l’Addiction et de la Maladie mentale de Toronto a établi des directives et recommandations à destination des consommateurs de cannabis à usage récréatif qui, je pense, sont actuellement l’une des meilleures sources d’information disponible. Elles incluent l’utilisation de souches de moindre puissance, l’utilisation d’un vaporisateur ou de l’ingestion plutôt que le fait de fumer, de retarder l’usage du cannabis au plus tard possible dans sa vie, de ne pas consommer quotidiennement ou quasi-quotidiennement, et enfin d’éviter de conduire ou d’utiliser des machines lourdes sous l’influence du cannabis. Les consignes encouragent également les femmes enceintes et les personnes aux risques de troubles mentaux potentiels d’éviter de consommer du cannabis.

« Ce projet a été rendu possible en partie grâce au gouvernement du Canada ».